le blog du basculeur par Marc Chopy
billet du 04.12.21
Été d'en forêt 21
Contrairement à la mer, les arbres ne se balancent pas. Aujourd'hui il pleut en cette fin de juin, l'eau poisse mon vêtement, les feuilles s'égouttent doucement dans une lumière verte d'aquarium. Je suis au beau centre de la forêt, pourquoi penser à la mer qui est une nappe en ligne, pincée à l'horizon, alors qu'ici l'épaisse forêt se ferme et se détermine en circularité dont je suis le centre à chaque pas que je fais. De toute part rayonnent les fûts, comme autant de tracés reliés à ma vue. Est-ce pour cela sans doute que j'ai imaginé ce cercle rouge, à dresser comme à l'entrée de la forêt, pour signifier cette concentralité du sous-bois dont nous sommes le pivot improvisé, la coordonnatrice par laquelle la forêt épluche une sorte d'infinitude où l'on s'égare fatalement. Vu de loin cet icosikaitrigone semble contrarier ou contredire le flou mouvant des arbres qui marchent sur le front de la prairie qui jouxte la parcelle. Ce rond en suspend dans le vert, déplace notre regard du ciel à la canopée, puis à la terre, puis au relais hertzien situé un peu plus loin et barré de rouge lui aussi. Cette correspondance impossible à faire entre ces éléments appartenant toutefois au paysage se situe dans la couleur rouge, étrangère, dans la géométrie agaçante en ce lieu, et dans l'impossibilité de lui donner une signification autre que sa simple présence, ici, en dépit de toute utilité, si ce n'est une narration surréelle du paysage.
Hiver d'en forêt 21
Je suis bien dans la forêt quand j'y vais pour repeindre mes sculptures. Seul, je m'enfonce entre les ombres et la corne des troncs. J'espère avec nostalgie l'amitié de mes pièces qui me font le coeur poignant, comme si j'avais abandonné mes enfants. Pourtant je les sais autonomes et fortes, musclées de leur structure de bois que la peinture recouvre d'une présence clinquante et visible, une plasticité disparate, un appel, un cri dans le désert des plantes. Je ne sais qui aura été interpellé par cela ? Mais parce qu'on se retrouve en sous-bois c'est à dire dans la confusion du monde, sous un masque, de feuilles, de lignes, d'obstacles, d'ombres, ces œuvres semblent n'exprimer que le deuil de la vie ou une image enchanteresse déchue, une légende. Une déchirure sur la répétition exacerbée et mouvante des espaces de la forêt.
Je viens alors vérifier si cette existence des sculptures est nécessaire. Ici, là où précisément il ne pourrait n'y avoir rien, (rien qui nous représente), comme en philosophie se pose la question : " pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien ? " C'est mon cœur qui répond, ému, lorsque je les retrouve presque inchangées, hiératiques, lumineuses, probablement habitées d'une histoire, liée, engluée dans la nature alentour et dont je suis cependant un étranger. Soudain la neige les révèle et devient la peinture d'un paysage dont le spectacle est une jouissance naturelle, comme dans l'alcôve d'un musée on contemple l'histoire de la peinture.
La forêt est un espace résiduel de notre sauvagerie, ou de notre être primitif. Désincorporée de toute nuisance conquérante. Ainsi mes sculptures retournent à la plante qui les fit naître et parcourent la culture jusqu'aux origines.
La forêt nous scelle tout ce qui a été en dehors de notre présence. Les moments où je viens s'emplissent d'une complicité temporaire, avant ou après, mes sculptures retournent à leur servage d'étrangeté au même titre que l'Anthurus d'Archer, qui ne dure que le temps de faire son étoile purpurine.
La projection de terre due à la goutte d'eau a recouvert la cale de blocage du basculeur orange. Celui-ci semble provenir du sol comme une plante qui aurait poussé avec cette étrange forme réglée par la géométrie.
Il y a sur les troncs pourris de la forêt des petits champignons bleus lignicoles, qui me font concurrence face aux sculptures peintes, je compte leur répondre avec de nouvelles installations spécialement adressées à cette lumière secrète délicatement posée sur la texture des branches humides.
Les grands bleus, alors nommés cielicoles ou azuricoles, qui prendraient au ciel l'azur par dessous les feuilles, comme une néo-canopée.