
Le monde et une brouette
Marc Chopy
06/09/2025 > 04/10/2025
❝ Avec les 23 pièces qui composent cette exposition s’établit une consistance, une structure de Monde, un monde. Je l’ai appelé « le monde » pour le singulariser,avec une brouette, façon de le transporter, d’un point à un autre et de le transformer, dans un nouvel assemblage de ses éléments. La brouette est caractérisée comme locomotion de l’imaginaire à son bord. Cette mythologie du transport, fait référence à la brouette du facteur Cheval et incarne le dessein du Palais Idéal, qui morceau par morceau, pierre par pierre,
métamorphose et reconstitue le Monde visible d’un homme seul, un monde simple et candide, celui de ses apparences, de ses merveilles de ses interprétations et de ses secrets.
Vanitas vanitum et omnia vanitas « Vanité des vanités tout est vanité », tel est le cœur de la peinture Paysage des vaches de 1981 (n°1). Dans les mouvements hachés des couleurs, on finit par distinguer des vaches, quoi de plus ordinaire, de plus commun et habituel, puis des crânes, des oiseaux, des morceaux de nature. J’étais fasciné par la lenteur, la douceur des vaches dans les prairies et ressentais l’énorme contradiction et la vanité de ce destin. Sachant le sort qui leur est réservé, une nature vivante et bientôt peut-être une nature morte, dans l’indéterminé !
Cette peinture fait bien sûr référence au genre des Vanités du XVIIème siècle, avec dans le tableau de nature morte, ce crâne humain associé aux objets du temps qui passe, sablier, fleur bientôt flétrie, planisphère etc. Peinte ou plutôt dessinée au pastel gras sur un fond à l’acrylique, Paysage des vaches fait partie des œuvres autour du Saint-Georges que j’ai réalisées à cette époque entre 1980 et 1982.
Il me semblait que le lien de cette pièce avec mon propos, Le monde et une brouette, était comme l’amorce de cette ellipse autour de mon monde de la peinture et celui du Facteur Cheval avec son Palais Idéal.
Il s’agit de comment voir, recevoir et construire une histoire qui en quelques pièces nous emporte au milieu du gué. À vous de terminer la traversée. Je voulais qu’au centre de ce jeu de miroir entre le monde, la peinture et la sculpture, on trouve une brouette en or. C’est à partir d’un dessin fait en 2024, que j’ai projeté trois possibilités ou un triptyque de brouettes nommées «Trois achoppements» (n°2) en référence à la pierre
d’achoppement que mentionne le facteur à l’origine de son Palais Idéal. La sculpture actuelle qui transporte un galet, retaillé pour qu’on retrouve un crâne naturellement esquissé, n’est en réalité qu’un prototype puisque j’ai pensé la faire réaliser en bronze doré et les pierres d’achoppement en bronze verdi ou bleuté (n°3).
Il me fallait une monumentalité de la peinture pour servir d’environnement et de socle de ce monde. J’avais imaginé au départ couvrir la totalité des murs d’une série de huit formes imposantes, corps énigmatiques. Sorte de greffes ou d’hybridations entre feuilles, arbres, pierres, chaos de roches, animaux dont la massivité
colorée pèserait comme les cariatides de ce monde inventé et faisant échos aux cariatides du Palais qui portent des végétaux sur leurs têtes. La toile libre offrant une sorte de flottement bien plus propice à la perception parfois vaporeuse qui règne sur le monde dans la brume et le mouvement de l’air. Il n’y aura que
quatre peintures (n°4 à 7)!
La première peinture réalisée, la feuille fendue ou ouverte, était en résonance avec une sculpture réalisée en 2023, Régénération en épicéa découpé, avec la coloration naturelle du bois brut (n°8). Je l’ai associée à cette peinture et immédiatement j’ai compris qu’il me fallait installer ce ricochet de la peinture à la sculpture avec des sculptures répercussions visuelles des peintures elles-mêmes cariatides portant des signes végétaux à leur sommet. Sculptures plantes ou corps en marche, découpées, ciselées, assemblages à la
couleur du bois et qui vieilliraient en s’assombrissant (n°9 à 11).
Au fond, derrière la brouette, se tient une Sculpture Utopique sur le paysage notoire du palais, en impression par sublimation sur tissu (n°12). D’une taille équivalente aux peintures, c’est une sculpture d’utopie qui se confronte à l’utopie réalisée du Palais. Comme un chaos de couleurs en volumétrie qui annonceraient un chaos, un désordre, une chute arrêtée dans une éternelle suspension comme l’idéalité du Palais. Dans une paradoxale imitation inversée. À son coté, la sculpture au bois de cerf 10 cors, Assemblage des trois règnes tente une imitation, elle singe la sculpture utopique et la peinture du chaos sur sa gauche, la feuille bleue en panache, comme au sol plus loin Peser l’âme des feuillages, est une imitation à terre, ou terrassée avec des feuilles en plastique (n°14). Ce qu’il faut voir c’est les rebonds qui se passent d’une pièce à l’autre, d’une couleur à l’autre d’œuvre en œuvre, percevoir comment se tisse l’histoire que raconte les couleurs et les formes et solidarise notre esprit à la lecture de l’invisible.
Sachant que mon travail avance sur de multiples voies où la couleur, les couleurs, une certaine association colorée, en un mystérieux message, j’ai continué à creuser la voie des basculeurs. Avec la complicité et l’assistance de Cédric Giraud qui a réalisé la découpe et le pliage de deux sculptures en métal (n°15), dont une en deux exemplaires, j’ai fait la peinture des basculeurs pour les installer dans le jardin (n°16, 17).
Une façon d’ouvrir Le monde et une brouette au monde et de tirer l’intérieur de l’exposition dans la
lumière de la nature, confrontant la jouissance de la perception de la transformation de la forme à la
variation du temps dans l’air de la réalité.
Il manquait la parole aux nuages, et au bleu du ciel, alors sur un montant du porche de l’entrée, j’ai fixé un basculeur des nuages qui passe sa journée à dialoguer avec l’étendue bleue ou blanche de l’azur et butiner la lumière (n°18).
Dans la Nanotecture Alors que je peins les derniers basculeurs en métal, j’épanche la couleur, avec la peinture contenue encore dans les rouleaux, par des peintures sur papier, hâtivement extraites de mon geste de ressuyage, sans un choix construit de couleurs. Cette action ordonnance un protocole, dont la finalité est de couvrir l’entièreté de la surface. Mais c’est aussi provoquer l’accident, l’accident de la peinture, ce qui me déboite d’une ligne, qui me jette dans le vide absolu de ma pratique. Je vois de l’autre côté de moi-même, ou le nouveau toujours nécessaire au dynamisme de l’esprit. Il se produit alors une simplicité, une construction évidente de formes, dans une géométrie favorisée par le travail au rouleau. C’est un bestiaire du plus intime qui naît, des portraits, une improvisation franche, dans une géométrie d’économie des surfaces à couvrir au maximum du contenu de la couleur qui reste dans l’éponge du rouleau à peindre, où des histoires s’engendrent aussi vite que le séchage.
J’ai appelé cela “peintures de ressuyage et d’accident“, à partir de l’action d’enlever l’excédent de couleur sur le papier pour simplifier le nettoyage des rouleaux et du hasard provoqué. C’est d’une grande efficacité narrative (n°19 à 23). ❞
Marc Chopy – septembre 2025




























