Médusa Carbonado

"Médusa Carbonado c’est la fusion des matières. Oui, une tension est bien palpable, comme une lutte des classes matérielles : la céramique, noble et précieuse, se trouve associée à des éléments comme la fausse fourrure, les strass ou les cheveux synthétiques, des artifices moins admirés. Par cette désacralisation, Eugénie Faurie transforme la céramique en un terrain d’expérimentation où beauté et brutalité sont l’une contre l’autre. Certaines sculptures semblent prêtes à nous poignarder ou nous percuter pendant que d’autres auraient envie de nous protéger, des talismans acérés, outils sans cesse ambivalents, épines hostiles au pelage doux.
D’autres formes se parent d’une saveur ornementale, quasi chic, quasi kitch, quasi classe, presque émo, presque goth, embrassant pleinement leur dimension décorative. Au-delà des sculptures, l’artiste présente également des peintures qui peuvent évoquer une architecture anatomique : tels des bassins ou des assemblages d’ossements. Leur vocabulaire formel : boules, épines, poils sont des reliefs présents dans ses sculptures.
Médusa Carbonado nous donne des indices et sonne déjà comme un sort jeté. Carbonado, un diamant noir rare et impossible à tailler, évoque la préciosité brute du minéral et le procédé d’enfumage utilisé sur ses céramiques. Ce remède laisse des traces aléatoires et organiques sur la surface de la terre cuite, des marques indomptées, dessinées par le feu lui-même. Mais plus encore, l’alchimie s’intensifie lorsqu’elle y ajoute des mèches de cheveux de ses amix. Placés sur la pièce avant cuisson, les cheveux se consument et laissent sur la matière des empreintes fantomatiques, presque cartographiques, des traces de leurs souvenirs. Le cheveu devient ici un élément central —en bataille ou tressé ; artificiel ou naturel— il résonne puissamment avec la figure de Médusa, la seule des Gorgones, à être mortelle, dont la chevelure de serpents est à la fois pouvoir, malédiction et protection. Où sont les humain·es ? Assurément iels ont pris la fuite. Pour Eugénie Faurie, le motif capillaire se transforme : il n’est plus menaçant mais chargé de soin, de présence, de liens, d’attachements ? Probablement. Il devient la trace d’un passage : une offrande carbonisée au cœur de la terre. Les pièces ainsi marquées semblent surgir d’un monde parallèle, comme des artefacts oubliés d’une civilisation engloutie par le temps. Tantôt tranchantes, tantôt précieuses, elles portent en elles une mémoire silencieuse ; terrestre (terre, plume, bois) ou aquatique (flotteurs, ancres, formes polies par l’eau, coquillages) ? Je n’arrive pas à choisir : je dirais donc occultes. Et par une autre recette, l’artiste fait grandir sur ces sculptures des cristaux d’alun ; visible sur l’une d’elles, suspendue par ses cornes. Ainsi ces pièces interrogent leur propre existence : qu’est-ce que la matière retient du vivant, et comment elle peut, par la magie du feu ou de l’alchimie, conserver l’empreinte de ce qui a disparu.
Eugénie Faurie a sa propre mythologie, un héritage familial où les pouvoirs de guérison se mêlent à l’art de créer : chaque pièce pourrait être une tentative de raviver cette magie ancestrale. Et si fissure il y a, elle devient volonté. Poudre de diamant sur mes failles, Kinsugi ¹. Une fenêtre ouverte sur un passé mystique inaccessible."
Jeanne Chopy, avril 2025.
¹ Juste Shani, Carbonado, 2024.